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Esprit et Liberté

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Archives pour mars 2016

La réalité et le naufrage

La réalité et le naufrage

31 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / antpkr

 

La vision que l’on a de la réalité est ordinairement fragmentée, classifiée, catégorisée : le réel est découpé en petits morceaux, l’image est morcelée, ses parties sont séparées, éparpillées — l’humain désorganise le tout, le disperse, le rend flou et, ce faisant, il réunit les conditions pour l’apparition et la persistance d’une représentation mentale confuse, qui se brouille, et s’éloigne.

En séparant les parties du tout et en ne les considérant que séparément de celui-ci, c’est la nature même des choses qu’il tranche : il saisit ce qu’il croit être le réel, ampute ses bras, ses jambes, ignorant que par là, c’est sa compréhension des choses qu’il guillotine.

C’est ainsi que, négligeant la « nécessité de relier1 », à travers une illusion toujours plus profonde, il progresse… Cette « progression » est une bonne illustration de cette idée d’Edgar Morin selon laquelle « il s’est développé […] une intelligence aveugle aux contextes et qui devient incapable de concevoir les ensembles […] dans un monde où tout est en communication, en interaction2… ».

C’est la complexité du monde que cette intelligence ne parvient pas à concevoir et, par voie de conséquence, c’est la nature même de ce monde qui lui échappe. Les pièces du puzzle étant examinées, une à une, et cela sans que l’esprit ne s’intéresse au dessin, la conscience ne peut être en mesure de percevoir et de se figurer les liens existant entre les divers éléments : les forces, les relations qui unissent et qui forment la grande image — une image non pas figée, mais produisant ses créations inédites, se transformant, évoluant continuellement, une image emportée par la flèche du temps et vibrant au rythme de l’expansion, des métamorphoses et des émergences.

Finalement, en dépit de l’accumulation des informations, c’est l’idée que l’homme se fait de lui-même qui devient progressivement plus incomplète, plus parcellaire, plus amoindrie, c’est son essence même qu’il comprend de moins en moins, et qui, lui semble-t-il, le fuit.

L’oeil de la Raison, malgré ses vastes télescopes pointés vers les hautes sphères et ses microscopes installés dans ses entrailles, voit trouble. — Malgré les développements de l’esprit, malgré le progrès, oubliant les liaisons, les connexions, la globalité, il ne peut être que le témoin d’un univers extérieur et d’un univers intérieur tendant tout deux vers l’invisibilité. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque le regard actuel est victime, habituellement, de saccades importunes, de cette maladie qui empêche de bien voir, qui interdit d’embrasser la totalité ? L’homme moderne est victime d’un terrible tremblement, d’un accident : d’un naufrage — épistémique, ontologique.

 

  1. Boris Cyrulnik et Edgar Morin, Dialogue sur la nature humaine (Coll. l’Aube poche essai, Éditions de l’Aube, 2010), 12.

  2. Ibid., p. 13.

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La valeur de la souffrance

La valeur de la souffrance

31 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / brickrena

 

Entend-on le battement entravé de tous ces coeurs remplis de solitude, de plaintes étouffées, de sombres murmures, – ces murmures intérieurs, secrets, ces murmures de la conscience, de l’être ? Perçoit-on cette multitude d’oreilles chagrines, sonnées, souffreteuses, – ces innombrables âmes refusant d’entendre, sourdes ?

Parfois, lorsque les organes ont été trop remplis, la souffrance, la violence, le noir, l’excès débordent : des paroles, des larmes, des cris, des gestes terribles et laids s’échappent. L’eau, l’air, le feu hurlent, jaillissent, se manifestent : les éléments se déchaînent et, bien souvent, détruisent plus qu’ils n’apaisent.

Mais comment pourrait-on condamner des consciences n’ayant jamais appris à exprimer la misère d’une belle manière, des consciences qui ne savent pas « porte[r] la douleur […] avec une plainte de belle sonorité1 » ? La noble indulgence ne s’impose-t-elle pas là où l’ignorance gouverne en despote ? Je veux dire est-il légitime de railler ceux qui ne possède pas l’art de commercer plaisamment avec les pensées négatives, ces êtres qui n’envisagent pas même la présence du « bon » dans le « mauvais », et le mauvais dans leur attitude méprisant le bon chez les autres ?

Car en effet, il s’agit bien là d’un art – celui de mêler les nuances ternes et sombres, et de faire ressortir de nouvelles lumineuses ! celui de peindre le tableau le plus intime avec des matériaux parmi les plus néfastes et les plus obscurs, et de le partager, après l’avoir transformé, embelli et libéré, avec autrui.

Mais les vrais artistes étant rares, on se trompe ordinairement sur la valeur de la souffrance : à force de recevoir en pleine figure, et avec constance, les vagues d’immondices brutes projetées par les autres, pressante devient l’envie de porter un jugement défavorable et définitif sur la nature de la peine. Toutefois, a-t-on jamais vu un être humain évoluant à l’écart de la souffrance, lui étant comme tout à fait étranger ? Et nombre de réalisations exceptionnelles, d’oeuvres prodigieuses n’ont-elles pas été nourries par la détresse la plus profonde, par cette grande peine de l’âme qui, après avoir été canalisée, maîtrisée, fut en mesure de donner naissance au remarquable, au singulier, au beau ? En somme, ne faut-il pas que les éléments opposés et tout ce qui les relie soient présents afin qu’ils puissent, justement, exister ?

Ainsi donc, n’est-il pas tout aussi erroné et ridicule de critiquer violemment et d’éviter systématiquement la souffrance que de l’encenser bêtement et de la rechercher aveuglément ?

 

  1. Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète.

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La langue malade et l’importance du mot

La langue malade et l’importance du mot

29 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / jamestoons

 

Par le langage, l’humain apprend à communiquer avec les autres et avec lui-même. Cette faculté, cette petite voix qui résonne dans les têtes, oriente les individus, leur pensée, les sociétés et l’esprit des nations.

Ainsi, peut-on raisonnablement se figurer des individus qui posséderaient la maîtrise du langage, du moins qui tenteraient de le maîtriser, et, qui accepteraient d’être traités, que dis-je, d’être maltraités, – d’être « transformés en instruments, en rouages du mécanisme1 », en         « maillons de la chaîne de production2 » ?

Et chaque être ne devrait-il pas prendre à tâche de s’intruire et d’instruire, de mieux traduire ce qu’il est et la nature des choses, de mieux s’exprimer (seul et avec autrui) et d’encourager l’ensemble des hommes à l’accompagner dans cette entreprise de longue haleine ?

Car comment pourrait-on se satisfaire de l’emploi ordinaire que l’individu fait de ses sons, de l’avancement actuel de l’acquisition du langage chez cet homme-enfant, de la pauvreté de son langage intérieur et du manque d’ampleur et de clarté de son discours extérieur ?

Est-il possible de supporter encore plus longtemps cette fuite du verbe, cette décadence, cette chute de la langue… ces blancs, ce silence… cette pénurie et ce trouble dans l’expression, – cette grande et noire rivière de misère ?

Doit-on tolérer encore davantage cet écoulement qui emporte tout : la liberté, les possibilités de création des êtres humains, ses années même ?

N’y a-t-il pas urgence à développer favorablement, à améliorer la manière que l’on a de se parler, de s’« entendre », de se comprendre ? à avoir du langage une conception approfondie et une pratique aisée ? à fortifier sa pensée et à penser de nouveau à l’importance du mot et de la formulation ?

En somme, ne faut-il pas « tenir un langage nouveau », « soigné », j’entends par là soigner cette langue déjà bien malade, laquelle, faute d’attention et de soins appropriés, se dégrade, et languit dans le mépris, dans les fers, – en exil ?

 

  1. Noam Chomsky et Michel Foucault, Sur la nature humaine (Bruxelles, Les éditions Aden, 2006), 51.

  2. Ibid.

 

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Les beautés de la nature

Les beautés de la nature

28 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / NLshop

 

Les ressources s’épuisent, la croissance actuelle est intenable, eh bien ! cessez donc, vous, les pauvres, la vôtre !

La Nature hurle. Rabaissée, piétinée, maltraitée comme jamais, elle se débat comme un possédé que l’on s’acharne à déposséder. Le fauve attaque avec fureur sa proie, mais sait-il, le pauvre, que quand il n’y aura plus de victime, il n’y aura plus de prédateurs ?

Ah ! une prospérité qui se nourrit de pillage et de destruction, quelle richesse pauvre ! Et quelle misère que d’éprouver la douleur de ce coeur planétaire agonisant, qui, privé de ses biens, de ses charmes, de sa sève, de son sang, de sa vitalité, se débat contre sa maladie, contre ces vagues de démons fondant sur lui, – contre ces êtres qui jubilent et croient prospérer. Quel malheur que d’apercevoir, à travers les yeux de la lucidité, cet organe, notre propre organe, s’essoufflant et se consumant lentement dans le feu de l’indifférence et de la folie humaine. Ah ! que ces conditions sont insupportables à l’oeil qui entend et au coeur qui se bat !

On bâillonne la Nature, on la ligote. On crache sur ses spectacles et sur sa magnificence. On dilapide ses richesses, on souille sa robe pure, – on viole ses beautés.

Continuez donc, vous, les riches, aveugles et sadiques, puisque vous en avez le droit , puisque vous vous êtes arrogé bien des choses : tant de pouvoir et de privilèges ! – à l’exploiter… à la lapider !

Continue donc, homo sapiens, en homme moderne que tu es devenu, en halluciné que tu es, à ne voir de cette Terre que ton vaste supermarché, que ce marché mondial – détraqué –, que ton plus gros billet de banque, qu’un lieu idéal pour tes plaisirs les plus vils…

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Qu’est-ce que la vie ?

Qu’est-ce que la vie ?

26 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / Pogonici

 

Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce qui possède un sens ? Qu’est-ce que le sens ? Qu’est-ce qui est vrai ? Quelles sont nos propres vérités ?

Et qui est cet être obscur, cet éternel étranger, ce grand solitaire, cette masse informe, cette substance étrange qui remplit chaque âme ? Qui est-il, cet individu, pour lui-même, quelle est sa nature, quelle est la justification de son existence ?

L’humain cherche à comprendre les choses qui l’entourent et ce regard (son regard) qui observe le monde. Il est cette créature qui, dans les flots de l’incertitude, tantôt coule, tantôt émerge, et il a soif de révélation. Ce sont les mystères qui flottent autour d’elle, les mystères de l’univers, qu’elle désire pénétrer, et c’est la réalité en elle : l’indicible, l’infiniment lointain, qu’elle entend approcher, dévoiler et exprimer – l’être aspire à connaître et à se connaître, à révéler et à se révéler à ses yeux.

Afin de ne pas sombrer totalement dans l’absurde, l’homme s’essaie à l’enseignement : il tâche d’enseigner à lui-même la vie avant de la perdre… avant que, selon les mots d’Edgar Morin1, son « moi », son « je », son « identité » ne « meur[e] vraiment et radicalement ».

Mais alors, qu’est-ce que la vie ? – Une célèbre question. Une question plurielle, infinie… Une interrogation, avec un « point » à la fin, certes, mais qui constitue également une chance : celle d’être en mesure de se la poser.

 

  1. Edgar Morin, Dialogue sur la connaissance (Coll. l’Aube poche essai, Éditions de l’Aube, 2011), 66.

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L’agitation thermique et le champ

L’agitation thermique et le champ

25 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / eileenmcnamee

 

Les consciences humaines évoluent dans une sorte d’immense champ magnétique, et elles semblent s’évertuer, d’une manière presque innée, à s’orienter parallèlement à ce champ. La foule est magnétisée.

Le conformisme et la peur, agitant leurs mains démesurées, exerçant leurs influences invisibles, sont les premiers responsables de cette magnétisation.

Toutefois, il est des molécules qui résistent, qui ne se « soumettent » pas… Elles ressentent le péril imminent, cette lame au-dessus de leurs têtes prête à trancher leurs potentialités créatives, à aplanir leurs aspérités, à détruire leurs variétés – à limiter, voire dessécher, leur enthousiasme, leur vitalité, leur aimable folie ; elles décèlent cette voix autoritaire qui voudrait leur faire entendre « raison » et les amener dans une voie déterminée, réglée,             « convenable ».

Le champ est particulièrement fort, sa tendance est colossale, mais ces petites âmes, bien qu’elles soient aimantées elles aussi, ne sont pas comme les autres : perdues, complètement désaxées ; elles sont trop malignes et trop intuitives pour se laisser prendre à ce piège : elles devinent que certaines boussoles, telle cette brume épaisse enveloppant les conducteurs, trompent, que certains instruments désorientent – elles démasquent le mensonge, la malignité des conditions et des forces, la nocivité du milieu.

L’individu et la société, l’unicité et le groupe, l’inventivité et la norme, sont ces couples d’acteurs d’un spectacle qui toujours étonne. J’entends cette grande représentation comique et tragique – parfois semblable à un vaste « cirque » – qui, selon le mot d’Erwin Schrödinger, exprime les « vicissitudes de la lutte entre l’agitation thermique et le champ1 »…

 

  1. Erwin Schrödinger, Qu’est-ce que la vie ? (Christian Bourgois Éditeur, 1986), 46.

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Les transports exquis de la Folie

Les transports exquis de la Folie

24 mars 2016 par Vincent PAYET

Photo © iStockphoto.com / shottythefirst

 

Les êtres et les choses possèdent tant de teintes différentes, de nuances, d’aspects, de formes variés : une essence si abondante, si plurielle, si complexe, que l’on croirait voir danser devant nous des palettes fabuleuses.

Les valeurs même des choses paraissent fluctuantes, instables, un peu folles, et l’hallucination est tenace : elle ne désire point s’éloigner de son Homme ; elle le suit avec constance, telle une ombre accrochée à son objet, à son bien. – Étant témoin de toutes ces manifestations irréelles, assailli par toutes ces contradictions, toutes ces couleurs, par ces hordes insensées, il n’est pas surprenant que l’esprit sensible flirte avec la déraison.

Au sein de ce grand vertige, de cette effrayante ivresse des sens et de l’esprit, de ce fantastique tourbillon, de nombreuses âmes fuient le courant et tentent de s’accrocher à leur tour à des éléments plus solides, plus certains : ils recherchent l’« objectif », l’« immuable », l’« absolu ». Mais, rapidement, ils réalisent qu’en ce monde tout semble glisser, que ces êtres et ces choses, entre les doigts, même les plus fins, dérapent, s’infiltrent et s’échappent. L’être cherche à poser un pied infaillible et fier sur une terre ferme, se donne de la peine pour découvrir une île : un refuge assuré au milieu des flots d’incohérence et de folie. Mais peut-être est-ce justement par la voie floue et déréglée, par le chemin du maelstrom lui-même, par le sillon lumineux du vortex de la folie qu’il peut se rendre le plus promptement à ce lieu de calme et de sérénité. Peut-être devrait-il se laisser emporter par la profonde et extravagante aspiration, – s’y jeter rempli d’une gaieté et d’une sagesse nouvelles ! – en éprouvant les transports exquis de la Folie ! « Descendez donc pour un moment de l’Hélicon, puissantes filles de Jupiter ! inspirez-moi : je vais prouver qu’aucun mortel ne saurait parvenir au Temple de la Sagesse, à ce temple sacré et merveilleux qu’on regarde comme l’asile impénétrable du bonheur, à moins que la Folie ne se charge de l’y conduire1 », écrivait Érasme.

« Mais, direz-vous, tout ceci n’est pas bien raisonnable ! » Mais qu’est-ce donc qui l’est ? – Confiez-moi votre secret ! Et épargnez l’effort de justification, car elle ne m’est pas indispensable !…

 

  1. Érasme, Éloge de la folie (Éditions Mille et une nuits, 2006), 59.

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