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L’âme décadente dit : « Rien n’est plus faible que la valeur de l’Homme ; rien n’est plus vigoureux que le néant de sa condition. Tout n’est que dégradation et que ruine — misère1 ; ou alors, vanité — aveuglement. Ne vous souciez point de votre gaieté, de votre santé ! Tout n’est que bagatelles qui s’empilent en petits tas, et petits tas enveloppés dans des nuages de poussière… Tout n’est qu’accumulation d’inanités pour l’insondable gosier, pour l’immense gueule du Temps ! » Mais il est une chose à savoir, nous informe l’âme joyeuse : « L’âme décadente s’est faite borgne, en outre elle a choisi son œil restant ! Et il se trouve que celui-ci ne se nourrit que de lumières sombres, que d’énergies noires — sa physiologie même est ténébreuse. Elle a élu la rétine malade, c’est-à-dire la piste la plus obscure, la fatale piste, pour valser avec la vie ! Danseurs joueurs, danseuses joyeuses, gardez-vous des ultimes invitations, des partenaires souffreteux — des danses macabres !… Gardez-vous de la valse maléfique ! Lorsque le grand sommeil, la grande lourdeur survient, lorsque la terrible souffrance, les pensées moroses tambourinent, cognent à vos tempes, veulent assombrir votre vision, ensevelir votre conscience, soyez vigilants !… Ouvrez l’oeil !… et le bon !… » Et pour les rares qui le peuvent, pour tous les pieds éthérés et multicolores, pour les esprits gais et forts : n’oubliez pas de considérer la troisième possibilité. — Celle d’ouvrir les deux fenêtres, d’inviter tous les vents à danser ! de mêler le sombre et le clair, de rassembler toutes les lumières ! Ne négligez pas l’occasion d’oser. Osez demander à l’existence de vous accorder un tango ; les circonstances sont propices en vue de mépriser et de côtoyer l’âme qui méprise ! Expérimentez ces mouvements, ces enchaînements sublimes ! — Tournoyez, évoluez avec grâce sur l’ensemble du spectre du visible !
- Dictionnaire de l’Académie française, 8ème édition disponible sur www.cnrtl.fr/definition/academie8/misère.