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Esprit et Liberté

Un espace et un temps pour les esprits libres

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Archives pour décembre 2015

Proche et lointain

Proche et lointain

31 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                                                                                iStockphoto.com/trvad 

Être proches et éloignés à la fois, les plus proches même et les plus lointains : une forêt, un océan, un continent, des planètes, des mondes peuvent séparer deux « êtres » accolés ! — Que la proximité et l’éloignement sont de curieux mirages ! Voyez comme le tissu de l’espace dispose sur sa nappe des plis à la fois minuscules et proches, des petites gouttes et immenses et repoussés comme les mondes ; voyez ces gigantesques gouffres très espacés aussi étroitement liés que des univers siamois ! Mais tout cela est bien connu… le temps et l’espace sont joueurs ! les infinis aiment folâtrer ! Dans ces conditions, la grande déception survient lorsque l’individu réalise que ceux qu’il considérait comme amis intimes et famille, ne le connaissent et reconnaissent qu’en tant qu’étranger ; lorsque ce sentiment d’appartenance, cette douce quiétude, ce lien apaisant et chaud, rassérénant, est rompu. L’âme prend conscience qu’ils ne partagent plus désormais avec elle qu’un seul trait commun : leur nature « antipode » ! L’espace-temps lui-même s’est déchiré et il saigne… Dans sa prodigieuse « fuite », il draine les innombrables gouttes de peine et de colère, il emporte sa longue traînée de souffrance, ses sublimes lignes rouge sang. La rupture, cette désillusion sur la nature et la valeur de la relation, jette alors sur l’âme solitaire ses grands voiles froids, ses nuages obscurs, ses cercles noirs, orageux, ses bourrasques glaciales qui éloignent, séparent, — encerclent. Désormais il lui est enlevé, à cet individu rendu inconnu malgré lui, la possibilité même de verser sa profonde misère dans le sein d’un ami. Son fardeau, il doit maintenant le supporter seul, ou bien finir écrasé ! — personne ne veut ni même ne peut lui venir en aide. Mais qu’importe ! Le solitaire s’en est déjà remis et il s’en remettra ! Tout cela n’est déjà plus qu’un vague murmure, qu’un lointain songe cosmique, un léger souvenir tragi-comique ! Et rétabli, il quitte de nouveau la terre ferme ; le voilà qui dès lors utilise ces mêmes voiles : il se retourne vers l’horizon, il les remet dans le bon sens ! celui de l’éclaircissement et de l’expansion, — de l’épanouissement ! Notre hardi navigateur les hisse et, dans sa détermination d’airain renforcée, bombée, « gonflée », le noble sculpteur fend davantage l’océan. Il y trace, y grave, un sillon plus marqué, plus profond : il y dépose ses traits, ses rayures, ses traces lumineuses — sur cette surface étendue, à travers cet espace qui est dorénavant le sien, ce fleuve du temps espiègle. — Il est une chose que le Temps lui-même ignorait : notre compagnon de voyage aussi est joueur !

Eh quoi ! toute existence ne serait que succession de sillons qui s’évanouiraient sans cesse, ensevelis sous la poussière ! — Eh bien, qu’importe sa tendresse, ses lames enveloppantes ! le vague qui balaie ! Nous autres, nous voulons nous évertuer à ne pas laisser indemne cette vie ! Nous l’avons aperçue, l’onde fugitive ! et nous nous donnerons beaucoup de peine pour arriver à lui saisir le bras et à la marquer — à la remarquer davantage ; à la sillonner toujours plus !

 

 

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Comment devenir riche

Comment devenir riche

30 décembre 2015 par Vincent PAYET

 

                                                                                                                                                           iStockphoto.com/agrino

Il est une petite expérience, très révélatrice d’un fait aussi commun que curieux.

« Invitez » un voleur lambda à cambrioler votre esprit et précisez-lui qu’il dispose, d’une part, de tout le temps qu’il estime nécessaire pour une bonne mise en œuvre de son entreprise et, d’autre part, que vous ne lui ferez pas grief de son audace. Une fois que le cambrioleur s’en est allé, bien rempli, regagnez votre demeure et faites un inventaire de tout ce qu’elle contient, de ce qu’il vous reste ; dès lors l’allègement, les nouveaux espaces et l’air libre et frais déposent, non plus leur poussière, mais un moment propice pour procéder à un examen détaillé de soi-même, pour éclaircir la vision brouillée que l’on posait sur notre propre situation, pour inhaler un parfum plus pur, plus sain. Il est presque certain que, ce qui a été recensé minutieusement, pour l’essentiel, représente les choses de plus haute valeur. Vous êtes, en conséquence, en mesure de remercier votre bienfaiteur — et vous devez le faire ! ne serait-ce que par politesse ! —, car il a fait entrer une brise légère et des yeux neufs dans la chaumière ; dans son exaltation d’enfant devant l’arbre de Noël, dans la hâte joyeuse et fiévreuse, il a soufflé sur vous un vent assainissant et libérateur, — il vous a laissé plus riche que vous ne l’étiez !… un palais vous a été légué ! Il a dépoussiéré cette âme autrefois encombrée, et en époussetant le vieux crâne, il a dégagé le vieillard assiégé ; il se cognait sans cesse dans son grenier. Votre esprit est aéré désormais et ses véritables richesses sont comme soulignées, révélées par la propreté : disposées dans l’évidence, imprégnées d’une clarté nouvelle, elles réapparaissent, — c’est la résurrection des valeurs. C’est ainsi qu’il est des voleurs qui rendent plus riche.

C’est ainsi que dans nos sociétés, tenant — et y tenant beaucoup ! — dans leurs mains tremblantes et déboussolées leurs tables de valeurs, ces tables inversées, désorientées, obstruées, les choses les plus viles, les plus superficielles, sont aussi celles qui excitent le plus l’âpre convoitise. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on puisse observer, dissimulée derrière une apparente pauvreté, l’évolution d’individualités qui prospèrent. Ce sont ces êtres qui savent comment s’enrichir, qui convoquent toujours plus de cambrioleurs ! Mais il y a un préalable, et de premier ordre : une interrogation réclame une réponse. — Appartenez-vous au type du « cambrioleur », ou bien à celui du « cambriolé » ?…

 

 

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La fuite

La fuite

28 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                                                                          iStockphoto.com/meatbull                                                              

Au-dessus des têtes minuscules, des sphères humaines à peine visible, il est une échappée géante, la formidable fuite des galaxies ; en contrebas, bien plus « basses », d’autres fuites se manifestent, — plus humaines, « trop humaines »…

La fuite générale de l’esprit, l’immense dispersion, l’exode, la désertion des valeurs nobles.

La fuite en avant de la technique, de l’économie, de la politique, du « progrès » ; la « fuite en avant du “toujours plus” » (S. Hessel).

La fuite dans les psychotropes, dans le somnambulisme, dans un songe éveillé « toujours plus » funeste, toujours plus profond.

La fuite devant ses devoirs, et notamment celui de libérer sa pensée, d’exprimer sa singularité et d’explorer le possible au sein de la gaieté et d’une sagesse accueillant fraternellement la pure innocence.

La fuite des idées dans ces cerveaux surexcités, aliénés, perturbés.

La fuite d’énergies, ces écoulements abondants affectant le royaume fissuré de la pensée, le domaine perméable des actions : l’immense gaspillage de la physique et du psychique.

« La fuite des cerveaux » ; mais surtout la fuite de la Raison : cette fuite dans tous les cerveaux.

Et puis, il est un écoulement prodigieux, des flots qui rassemblent et emportent toutes les fuites, un fleuve titanesque qui convoque tous ses affluents : cette fuite des jours formidable, cette flèche du temps plurielle qui, implacablement, poursuit sa course inexorable à travers les volontés incapables, les coeurs timorés, les âmes avortons ; qui, pointe ses doigts vers les êtres atrophiés, du seuil de leur sein angoissé, frissonnant ! et fait jaillir, inonde, disperse l’écume fuyante, effrayante. — La pointe aiguë répand, ô temps ! ô espace ! ô fleuve prodigue ! ses perles de sueur, ses larmes de sang…

Mais le plus souvent, l’énoncé de certaines vérités bute contre son plus grand obstacle, sa plus terrible frontière : l’horizon de l’incrédulité. Le plus souvent, on nous invite à raconter nos histoires ailleurs ! « À d’autres ! », qu’ils disent, « Ne passez pas par là : la voie est obstruée ; passez par ailleurs » ! — Ils ignorent que par là, précisément, ils illustrent et simultanément confirment, l’existence même de la fuite… L’amour et la quête de la vérité ne se manifestent pas chez tout le monde de la même façon…

 

 

 

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Danse avec les signes

Danse avec les signes

26 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                        iStockphoto.com/WestWindGraphics

Il est un sentiment des plus insidieux : cette petite sensation, cette idée qui fait croire que la vie menée, en dépit de tous les signes criants, extérieurs et intérieurs, de bassesse, est une vie « normale », physiologique, naturelle, saine. En vérité, cette apparente normalité des existences individuelles provient essentiellement de sa ressemblance avec la norme, avec cette conception convenue de la normalité, laquelle est intrinsèquement morbide. Car comment un mécanisme singulier, un fonctionnement particulier demeurant dans chaque individu, dans chaque « unicité », pourrait-il se satisfaire de la norme, de cette manière de vivre commune, conventionnelle, standard ? Comment la vie pourrait-elle ne pas blêmir, ne pas sombrer dans la décadence, dans la pathologie, — ne pas tomber malade ? Il est ces êtres, pas si rares, qui se méprennent au point de considérer la maladie, la normalité, comme l’expression même de la vitalité, et qui croient que dès qu’ils ressentent un vague malaise — lequel est un signe qui accompagne nécessairement toute singularisation ; lequel est un signe caractéristique, diagnostique —, il est d’une importance vitale qu’ils retournent à un état plus « naturel » : ils se figurent que ce qu’ils nomment les « symptômes inquiétants », les fâcheux présages, les invitent, que dis-je, les somment de revenir à un état, une vie, une expérience antérieurs, plus « sûrs », plus stables, plus bénéfiques. Ils ignorent l’existence de l’erreur de type sémiologique ; ils sont inconscients de l’erreur de diagnostic qui en découle, de l’inversion des signes, des interprétations contraires à la vérité, au « bon sens » qui s’opèrent. Que s’est-il passé ? — Leur jugement s’est retourné ! il voit et entend tout désormais à l’envers ! Mais comment leur en vouloir ? Comment pourraient-ils s’en rendre compte ? Il n’est pas inutile de considérer les domaines du spectre de la santé. À son extrême limite, résident les manifestations saines et aux antipodes de celles-ci, demeurent les symptômes morbides ; et la vie et la ruine se fuyant, naissent alors au milieu, dans leur sein commun déchiré, les fruits de leurs entrailles : cette infinité de signes mêlés, ce vaste nid de « bons » serpents et de « mauvaises » vipères entrelacés. Mais, en dépit du fait que certains symptômes occupent une extrémité du spectre, ou bien l’autre, on se méprend encore, ô combien ! — les uns sont pris pour les autres !… Pire encore, bien que ces présages appartiennent au domaine visible, le plus grand nombre ne les discerne pas ! La lumière blanche, cette lumière visible ignore ostensiblement les ombres et elle leur est entièrement étrangère — cette belle inconnue ne les touche pas et, par voie de conséquence, elle les laisse indifférents !… Elle leur est invisible !

Et ces individus osent pointer leur doigt aveugle vers la personnalité décadente, souffreteuse. Mais se doutent-ils que lorsqu’on ne reconnaît pas la grande santé, c’est un affront qu’elle doit supporter ?

Par un curieux pouvoir des forces de la vie, ces malades qui s’ignorent, qui rendent la vie même malade, et en dépit du fait qu’ils évoluent dans une vie misérable, s’entêtent à penser le contraire c’est-à-dire à ne pas s’avouer la vérité, à ne pas admettre l’ampleur de leur chagrin, l’étendue de leur souffrance, la profondeur de leur détresse : les abîmes pathologiques s’ouvrent et engloutissent, mais le fait est escamoté dans l’oubli, sous la surface de la conscience ! Il est « cet absurde instinct vital qui rive encore à l’existence les plus misérables épaves humaines », écrivait Martin du Gard.

Ainsi donc, il y a des symptômes qui manifestent des apparences similaires, qui sont très proches parents — le déguisement est un des passe-temps favoris de ces enfants joueurs. Ces manifestations, soit dissimulent une dégradation de l’être, une diminution effective ou future de la vitalité, soit révèlent la belle vigueur actuelle ou à venir. Mais encore faut-il maîtriser le langage des signes, encore faut-il être un fin, une fine sémiologue ! Eux seuls peuvent prétendre se connaître à l’art du diagnostic différentiel, ce « diagnostic qui établit, pour des maladies ayant des symptômes communs, les signes qui les distinguent1 ». Eux seuls sont en mesure de se jouer de ces signes ; et certains esprits, les connaisseurs les plus avertis et distingués, lesquels sont aussi les plus sains et les plus gais — la grande sagesse et la noble gaieté se promènent ordinairement bras dessus, bras dessous —, sont même capables de folâtrer sous l’oeil des signes et… avec eux !…

  1. Dictionnaire Trésor de la langue française informatisé (TLFi), disponible sur

    www.cnrtl.fr/definition/differentiel.

 

 

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Les Harfangs

Les Harfangs

24 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                                          iStockphoto.com/dgareri

Il est des géants — les voyez-vous ? J’entends ces esprits vastes, ces créatures ailées qui, dans leur grande manœuvre, inconscients de leur force, assomment les naïfs promeneurs, piétinent les faibles et basses volontés. Mais que vois-je !… Oh ! regardez. Misère ! Ô les malheureux aveugles courent sous leurs pieds ! Ils se jettent sous les immenses, les majestueux Harfangs ! sous les mystérieux oiseaux blancs de la pensée ! Ils n’ont pas conscience des pattes puissantes aux griffes recourbées susceptibles de s’abattre à l’improviste ; être leur proie semble être leur joie ! Mais comment en vouloir à ceux qui ne savent voir ? Et pourquoi ne les discernent-ils pas ? — Parce que… la luminosité est trop vive ! et que les nobles hiboux sont imprégnés d’un type de clarté qui, aux passants, est tout à fait étranger. Ils réfléchissent des rayons « à part », que les autres ne peuvent distinguer, en outre leur plumage les camoufle dans la « neige », et ils sont silencieux ! Ces autres ont désappris l’art de percevoir, ils ont perdu le don, la maîtrise de la vision, et désormais, de peur d’être éblouis, ils font le choix de la grande fermeture : ils se barricadent, ils condamnent leurs fenêtres ! Ainsi ils ignorent tout de ces superbes volatiles qui, quant à eux, possèdent disposés vers l’avant les grands yeux du concret, déploient, en plein jour comme au milieu de la nuit, sur le sol comme dans le ciel, l’essor de leur vue perçante, le regard clair et pur du réel. Mais ces timides oiseaux venus d’ailleurs sont maladroits et tout ceux qui vivent autour d’eux doivent être avertis de l’alternative : ils se trouvent devant l’alternative de voler, de surmonter leur horizon restreint, de danser avec les géants ou de choisir l’aveuglement, la profonde obscurité et ainsi la condamnation, à un moment ou à un autre, à l’ écrasement, au piétinement involontaire.

Ainsi donc, parmi les « illuminés », les différences fondamentales établissent une nette distinction. D’un côté, ceux qui s’élèvent avec force, étendent largement leur vision et embrassent la réalité, de l’autre, ceux qui toujours plus s’aplatissent par faiblesse sous le poids d’épaisses ténèbres, de l’obscurantisme. Mais ces derniers, ces premiers « ensevelis », on ne les aperçoit déjà presque plus…

Le vol bas des hiboux annonce l’orage…

Il est des titans, les voyez-vous ? Il est des enterrés vivants, les discernez-vous ? 

 

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Raison

Raison

22 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                                   iStockphoto.com/bestdesigns

La raison est une « faculté intellectuelle par laquelle l’homme connaît, juge et se conduit1 ».

L’espèce humaine prolifère, nos villes engraissent et nos lumières artificielles « resplendissent » comme jamais auparavant.

Mais nos sociétés humaines laisseront-elles se consumer, s’éteindre leurs véritables lumières, celles de la raison ?

Assisterons-nous à l’évanouissement définitif des dernières lueurs d’espoir, de l’ultime petite flamme, tremblante, fiévreuse, comme au chevet d’un enfant que l’on coucherait, lequel après avoir écouté et « vécu » la longue histoire des civilisations, se laisserait porter par l’affaiblissement de la chandelle dans ses extrêmes égarements, sombrerait lentement mais implacablement, fatal glissement, dans la démence, dans le grand oubli, dans l’endormissement terminal ?

1. La société des apparences

Raison signifie « Faculté de raisonner, d’établir des démonstrations, d’administrer des preuves2 ».

Dans nos sociétés des apparences, l’esprit critique, la capacité de raisonner est délaissée, voire méprisée.

Nous n’évoluons pas dans une société des preuves, de la rigueur scientifique, de la logique, mais bien plutôt, dans un environnement où la démarcation entre la réalité et les représentations est laissée floue par négligence, suffisance, paresse intellectuelle et manipulation. La complexité du réel cède la place aux conceptions réduites, fragmentées, isolées et simplistes. Les signes, les idoles, les symboles, les lieux communs, toute cette fumée moderne, deviennent les nouvelles    « valeurs de référence », le « nouveau » paradeigma dominant, l’intoxication « à la mode ».      — J’en veux pour preuve la faible proportion de personnes qui explorent, auscultent, dissèquent les fondements, les raisons de leur modèle de pensée, de leurs façons d’agir en tant qu’individu mais aussi en tant qu’élément faisant partie d’un tout plus vaste, en tant qu’élément social : j’entends par là tous ces motifs, ces causes plus ou moins conscients qui poussent à privilégier telles voies, telles évaluations, tels comportements plutôt que d’autres.

En substance, nos sociétés, pour ce qui à trait à leur nature, sont d’une constitution contraire à celle d’un royaume de la raison — ou alors, il y règne une raison embrumée, enivrée, dévoyée, qui s’assombrit, s’atrophie, s’amollit, se dissout : une raison qui tangue, chavire, sombre. Ce royaume est bien plutôt celui des affirmations spécieuses qui se donnent l’apparence de la preuve, de la démonstration, de la rigueur. Et les individus, dans la majorité des cas, préfèrent à ces dernières — est-il encore sérieux de s’attacher à le démontrer ? — les illusions, les interprétations arbitraires, les formes, que dis-je, les déformations…

2. L’animalité, l’humanité et la bête folle

Et si nous opposons la raison à l’instinct de l’animal et que nous laissons cette faculté s’étioler, se faner, que reste-t-il alors à l’humain ? de l’humain ? — Son animalité ! mais à laquelle a été soustraite la « dignité » de la bête !… En somme, un grand singe bancal, dénaturé, les yeux dans le vague, un déséquilibré sur sa branche, — un égaré sur l’arbre phylogénétique du vivant…

Il reste un soupçon, un souvenir vague d’humanité ; il reste des âmes errantes qui ne progressent plus, qui ne s’élèvent plus mais qui implacablement avancent, se traînent — des  « pas fous », des consciences perdues, des sociétés étourdies, écervelées, insensées.

3. Le bon sens, la croissance et l’émergence

Il s’agit, dans nos « cultures » en friche, de semer en grand nombre les graines du discernement, de la sagesse, de la circonspection.

Ces grands arbres en puissance, majestueux, triomphants, qui dans leur ascension déchireront le voile obscurci, le voile de l’immense aveuglement, qu’ils ajoureront, éclairciront.

N’est-il pas nécessaire que ces « cultures », ces « natures », cette Terre recouvrent leur raison, que ces séquoias, ces esprits sciés, déracinés, fauchés se relèvent et étendent leurs formes, déploient leurs structures, leurs substances, expriment leur sève ? — Les « exigences » de leurs propriétés, de l’« essence » et de la situation, du moment, n’obligent-elles pas qu’ils reprennent leur ascension, leur cheminement éclairé, leur « bon sens » ?

4. La sagesse : la courbe descendante, l’oiseau rare et le triangle insensé

La raison s’emploie aussi dans le sens de « Faculté des grandes personnes et qui ne vient aux enfants que plus tard, progressivement3 ». Ce que l’on constate en réalité, c’est que les individus croissent bien en taille et en force mais beaucoup moins en sagesse. Certes celle-ci se développe durant l’enfance, cependant elle atteint promptement un palier. — Parvenue à ce degré — lequel est généralement un plafond ! —, elle se stabilise, dans de très rares cas se renforce et fleurit, mais le plus souvent — et c’est son « développement » le plus fréquent —, elle amorce une courbe descendante, sa « croissance négative », son « progrès contraire » : elle plonge sans hésitation… dans le dépérissement précoce, la profonde altération, l’abyssale régression, l’obscure crevasse. — Mauvaise herbe croît toujours !…

La logique, le bon sens dans les choses humaines, sont de nos jours des oiseaux rares. De ces animaux qui, en raison de leur habituelle absence, de leur beau plumage, de leur allure élégante, de leur superbe constitution, toujours surprennent et émerveillent les esprits préparés, avertis lorsqu’ils apparaissent — tels des surgissements, des deus ex machina.

Il est un phénomène quant à lui beaucoup moins rare, une « petite » habitude même. Les humains ont l’habitude d’allumer des feux de joie pour célébrer leurs petites affaires quotidiennes, mais cette ardeur, cette exaltation, ce rougeoiement, souvent, ne porte en elle pas un seul brin de raison : ce feu, ce « triangle de la folie » subsiste bien plus au moyen de l’air (appauvri) des choses superficielles que du « bois noble des éléments raisonnables ».

5. Norme, règle et intelligence créatrice

André Lalande distingue dans la raison, la raison constituante et la raison constituée, définies par le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) comme suit :

« Raison constituante. Intelligence créatrice, intuitive, immuable, commune à tous. Raison constituée. Ensemble de règles, de principes, variables selon les personnes et selon les époques, sur lesquels se fondent nos raisonnements4. »

La plupart des individus semblent agir sans véritables raisons, ou alors subissent la tyrannie d’innombrables impulsions déraisonnables, celle des raisons confuses, des raisons imposées,   « réglées », déréglées, aussi puissantes qu’obscures, contestables. Baignant dans un champ de forces invisible — dans une paresse intellectuelle systémique —, ils préfèrent habituellement, au sein de cette inconscience généralisée, s’en fabriquer — ces ouvriers, ces ouvrières, ces prolétaires de la grande fabrique des apparences — à la hâte des mauvaises plutôt que de s’évertuer à suivre des valables, des solides, à faire preuve de sagacité, de créativité.

Et pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi prendre le risque, le temps et l’énergie nécessaires à l’élaboration d’une pensée et d’une manière d’agir plus réfléchies, plus mûres alors que les motifs abondants sont déjà prêts à être infusés, intégrés, ingérés : rapidité, facilité, superficialité, excès dévastateurs — société de consommation effrénée des mobiles, du prêt-à-porter industriel des préjugés ; « malbouffe spirituelle » et… comportements en accord…

Où sont donc passés tous les esprits amoureux de la raison, ces cœurs, ces volontés « affamés » ? — La plupart se sont atrophiés, endormis, — cheminant, sombrant dans un état pathétique, pathologique : une longue et sombre hibernation mentale.

Et pourquoi abandonne-t-on si facilement notre raison ? — Eh bien, pour toutes sortes de  raisons ! Et si l’on devait évoquer quelques unes : le conformisme, les convenances, l’illusion de la sécurité, l’idée fausse d’une existence plus heureuse…

D’aucuns « injectent » tant d’énergie et d’espoir dans l’idée d’une humanité qui serait plus raisonnable, mais en définitive, n’est-ce point là un objectif par trop élevé ? Essayez donc de parler raison à cette société obstinée, influencée, déraisonnable, altérée, « malade », aliénée ! Et peut-être éprouverez-vous alors l’affliction du terrible constat ! — La paresse, la conformité, le laisser-aller, la médiocrité sont des forces puissantes qui attirent les individus, innombrables : des tentatrices, des séductrices, des incarnations modernes du type de la sirène.

À propos, Prosper Mérimée écrivait : « Quand cette fille-là riait, il n’y avait pas moyen de parler raison. Tout le monde riait avec elle5. »

Quoi qu’il en soit, et que cela plaît ou déplaît, qu’importe ! Nous autres faisons le choix d’un rire différent ! — plus sain, plus sage… plus « raisonnable » !…

  1. Dictionnaire de l’Académie française, 8ème édition disponible sur

    www.cnrtl.fr/definition/academie8/raison.

  2. Ibid.

  3. Dictionnaire Trésor de la langue française informatisé (TLFi), disponible sur

    www.cnrtl.fr/definition/raison.

  4. Ibid.

  5. Mérimée, Carmen, 1845, p. 60 (ibid.).

 

 

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Liberté

Liberté

11 décembre 2015 par Vincent PAYET

                                                                                                                                                      iStockphoto.com/Wildpixel

La liberté est le « pouvoir d’exercer sa volonté ou d’opérer des choix1 ».

Elle peut être définie comme l’« état d’une personne qui peut agir et penser sans contrainte2 ».

La règle, le conformisme, les conventions affaiblissent le sentiment d’identité et de liberté individuelle. Cette liberté civile, c’est-à-dire ce « droit d’agir et de se déterminer souverainement, dans les limites imposées par la loi et le respect des droits d’autrui3 », doit être encouragée dès le plus jeune âge. Il s’agit d’ouvrir l’éventail des opportunités et non pas, comme cela est la norme à notre époque, de réduire toujours plus le tunnel du futur, de saccager le champ des possibles « promis » à tout un chacun, par ces unités d’informations virales qui sévissent, par ces conceptions traditionnelles obsolètes, dogmatiques qui véhiculent les spécifications, les illusions, l’erreur.

Ces idées, inséminées dans les esprits — lesquels évoluent dans une sorte d’inconscience généralisée, aveugles des chaînes conceptuelles, des croyances, des préjugés, des évaluations arbitraires, des conceptions artificielles « trop humaines » —, délimitent, circonscrivent, rivent et paralysent la pensée. — Pour ces personnes, ces victimes — plus ou moins sept milliards —, la notion de liberté signifie uniquement l’expérience d’une réalité altérée, l’expérience d’une « douce » chimère. — Elles ont perdu toute liberté de jugement, cette « possibilité de se former une opinion en dehors de toute influence, de tout préjugé4 ».

Des sociétés, des modes de pensée, des libertés « nouvelles » sont nécessaires, et ce dont il va être question dans le développement qui va suivre, c’est de métamorphose, de cultures émergentes, d’indépendance, d’engagement, d’inventivité, d’art et de don.

Sociétés et formes de pensée actuelles

Les villes, l’économie, le monde du travail, en somme les systèmes, les organisations sociétales et les formes de pensée qui leurs sont associées attirent par millions, par milliards leurs nouvelles recrues, lesquelles sont portées par l’illusion de sécurité du conformisme, abusées par la poudre d’un espoir projeté, malsain, par le voile de la fantaisie, à travers cette vaste poursuite des chimères, à travers cette immense fabrique de rêves. Et peu d’entre elles ressentiront à nouveau — mais l’ont-elles jamais vécu ? — ce sentiment exprimé par les paroles de Gautier :

« Cela le réjouissait de voir des champs, des buissons, des bois, des animaux en liberté, spectacle dont il était privé depuis qu’il habitait la ville5. »

Évidemment, il ne s’agit pas seulement de la « liberté de l’eau et des forêts6 », de la liberté comme un « état de la nature (caractère d’une de ses manifestations) en tant qu’elle ne porte pas la marque de l’homme7 » mais aussi de « buissons », de « spectacle » foisonnants d’idées originales et de pensées plus libres, moins circonscrites par des « orées », des frontières artificielles, — des barrières, des « clôtures » superficielles.

Où sont donc passés ces esprits libres, qui grandissent et s’épanouissent tel le peuplier de Lamartine, lequel « jetait son voile pâle et mobile sur toute cette vallée du fleuve » ? — cet « être » à la volonté plus élancée, cette nature plus émancipée qui, « comme il n’est pas ébranché ni planté par la main de l’homme, […] y croît par groupes, et y étend ses rameaux en liberté avec bien plus de majesté, de diversité de formes et de grâce que dans nos  contrées8 » ! 

Le régime féodal moderne

La liberté désigne le « degré d’indépendance que l’on juge normal et légitime pour le citoyen, le peuple, la nation et que l’on érige en valeur suprême, en idéal9 ».

Et pourtant, notre société travailleuse — ces colonies de fourmis, ces masses besogneuses — et nos empires mentaux, incarnent le type du régime féodal : les cerveaux actuels sont les       « fiefs modernes » et nos esprits les « vassaux » des influences, des pressions, des champs de forces des « puissances » extérieures, lesquels s’infiltrent, « exproprient », prolétarisent. En se soumettant systématiquement aux interprétations, évaluations, jugements de valeur, à l’autorité d’autrui, l’humain ne s’appartient plus : il se dépossède de lui-même.

Reconquête et libération

Reprendre sa liberté requiert la possession d’une âme hardie. Se défaire d’une croyance ancrée, d’une conception tenace, d’un engagement, d’un lien affectif fort ; faire le choix de la liberté, s’extirper de la bobine mentale de chaînes emmêlées, se dégager de la toile des sentiments anarchiques, chaotiques, des forces emprisonnant, des cellules des préjugés et des évaluations étriquées qui retiennent captifs, captives : combien de personnes en sont capables ? Et parmi elles, combien mettront en œuvre ces actions, les traduiront en une réalité effective ? Ainsi donc, combien représenteront cette définition de la liberté en tant qu’« état d’une personne qui n’est pas en captivité, qui n’est pas emprisonnée10 » ?

En définitive, combien échapperont aux énormes « araignées », glaciales, menaçantes des greniers psychiques encombrés et poussiéreux ? — Combien exploiteront cette liberté de pensée et d’expression tombée en désuétude ? cultiveront les germes, stimuleront le vaste arbre de la liberté, permettront à ses branches de se déployer ? favoriseront son essor, sa plénitude ?

Métamorphose sociétale : cris et appels

La société sollicite ses écrivains engagés, courageux, cette liberté de plume qui affirme, détruit, qui se déverse, qui répand sa sève, sa vitalité.

Que faites-vous de votre liberté économique, de votre liberté du travail ? Que faites-vous de cette liberté de pensée évoquée précédemment, de ce « droit pour tout individu de communiquer une opinion11 » ? et particulièrement de votre liberté de la presse en tant que    « droit de communiquer une opinion, des idées en la ou les diffusant et notamment en la ou les publiant12 » ? Car ce que permet l’explosion du Web avec ses sites, blogs et réseaux sociaux, c’est de donner la possibilité aux individus engagés de s’exprimer, de contribuer à la création de savoirs, de valeurs et de les partager, de diffuser leurs messages, de fédérer, et cela dans des proportions, à des échelles qui étaient encore inconnues, inimaginables il y a quelques années. L’individu par cette capacité, cette opportunité émergente et inouïe de créer, de participer, de transmettre et de rassembler est plus que jamais un « leader » comme le déclare Seth Godin13, mais surtout et c’est cela qui est essentiel, un créateur potentiel de connaissances, d’évaluations inédites. Le pouvoir que confère les nouvelles technologies aux individualités est considérable. De tout ceci découle la question déterminante de savoir ce que fera l’humain de cette liberté, de ce pouvoir. L’utilisera-t-il afin de fonder une économie neuve, une économie collaborative favorable et viable, créative, une économie de la redistribution, de la contribution, du partage ? — cette « économie contributive néguentropique et redistributrice, c’est-à-dire juste » que prône Bernard Stiegler14 — ou bien l’exploitera-t-il afin d’épancher toujours plus sa soif de puissance, de domination et de profits, afin de créer toujours plus de prolétarisation, de détruire toujours plus les possibilités formidables d’émancipation, d’individuation, de singularisation, d’émulation ? L’humanité favorisera-t-elle une technologie et une économie empruntant la voie de l’aliénation, de l’emprisonnement, de l’égoïsme, de l’automatisme ou bien privilégiera-t-elle un chemin différent, celui de la singularité, de la libre pensée, de l’intelligence collective en vue de cette notion complexe que constitue l’idée de bien commun ?

Car liberté peut s’entendre aussi de l’« état d’un pays, d’une nation qui n’est pas sous une domination étrangère15 ». Et il y a ces puissances et ces même rapports : certains esprits établissent leur empire sur la multitude qui se retrouve ainsi dans un état de soumission, d’assujettissement, — plongée dans l’hébétude.

Dans ces mains « habiles » ou alors dans d’autres plus « sages », les nouvelles technologies — et les technologies numériques en particulier — serviront la manipulation des masses, l’esclavagisme des « Temps modernes » ou bien la liberté, la créativité, la coopération. Ce dont il s’agit ici c’est soit d’une utilisation positive de la technique, d’une émancipation systémique, soit de la servitude de la « modernité », d’une aliénation généralisée, — d’une folie exacerbée.

Quand les individus lutteront-ils pour leur liberté ? Quand se libéreront-ils des liens internes, des innombrables passions pernicieuses, des instincts vils, de toutes ces formes détestables de laisser-aller, d’oisiveté, de médiocrité et de la tyrannie extérieure des normes, des conventions, de toutes ces contraintes, ces exigences étrangères consenties dans l’irréflexion qui réduisent, limitent, altèrent, égarent ?

Et l’heure n’est-il pas venue d’une société plus « leste », plus déliée ?

Mais les organisations humaines sont-elles prêtes ? les consciences suffisamment élevées, nobles ? nos civilisations assez évoluées, raisonnables, mûres pour s’émanciper de la règle, pour jouir pleinement de ses libertés individuelles, de ses capacités de synergie, de son inventivité ?

Car il ne suffit pas que le temps lui-même s’impatiente ! que le terreau le « réclame » ! y soit favorable ! — Les germes doivent aussi réunir les marques, les types, les caractères et « natures » nécessaires et laisser transparaître les rares présages.

Comment le savoir ? comment répondre à la question ? — Un regard suffit : la haute « vision » d’un aperçu, laquelle détecte les signes, laquelle « révèle ». — Mais quels signes ?… Où donc résident les indices ? où se tapissent-ils ?… Vous m’avez compris…

Préparation des « terres », « cultures » émergentes et « assainissement » mental

Des « cultures », des « terres spirituelles » plus libres doivent être préparées, labourées, par des cultivateurs vigoureux qui transmettent leurs forces aux pousses, aux fleurs récemment écloses, aux arbres élancés, émergents à venir, ces cimes soulevées, aspirées par les nues : des penseurs, des écrivains, des entrepreneurs, des hérétiques, des artistes, des défenseurs de la liberté majestueux, engagés, pour une « Terre » plus féconde, plus prospère, — « libérée ».

Mais actuellement, où demeure cette liberté dans l’expression du style, cette audace dans l’élaboration, cette détermination et cette facilité dans la mise en œuvre, qui caractérisent les auteurs « vrais », ceux qui écrivent avec le sang, les larmes, l’airain ? — Ceux-là même qui s’incorporent à l’oeuvre : j’entends ces personnes créatives, ces  « pianistes » qui font montre de leur virtuosité, qui laissent l’esprit gémir, virevolter, danser sur les « touches » et qui lui permettent de peindre par petites touches délicates et résolues, ces idées, ses convictions, ses représentations déposées sur la « toile ».

Où demeurent ces âmes aériennes déchargées de leurs entraves ? ces esprits qui ne sont plus enracinés, rivés au sol des croyances communes, de l’épistémè ?

Car s’il est bien une chose rare, c’est cette liberté d’esprit en tant qu’« indépendance de l’esprit à l’égard de la tradition, de l’autorité, des croyances établies, des préjugés ou disposition de l’esprit qui est délivré de toute préoccupation, de tout embarras16 ».

Hélas ! L’atmosphère commune se caractérise bien plus par cet air vicié des plafonds, des étages « supérieurs » insalubres. Les crânes, ces « cages », ces cellules aux « fenêtres » grillagées, obscurcies, voilées, sont comprimées, oppressées : ils rapetissent ! ils halètent ! Et pourtant, il y a quelque chose d’expectatif dans leur souffle qui s’épuise ; et pourtant soufflent dans ces esprit les tourbillons de l’immobilisme, de la dégénérescence, lesquels s’opposent au mouvement véritable et propagent cette ambiance figée, cette atmosphère de mort. Mais quand donc les vents nouveaux viendront-ils ?

Quand surgiront ces vents plus purs, plus hauts, plus frais, vivifiants ? — Ces bourrasques sublimes ! assainissantes, libératrices, salvatrices !

Culture, créativité et liberté régulée

Les individus qui sont responsables de l’évolution viable de la culture, les créateurs de culture, sont tels ces artistes capillaires. Le processus créatif génère des valeurs fraîches, une vaste et dense « chevelure » d’informations qui inéluctablement se développe, prospère. Et ces cheveux doivent être tantôt serrés en natte, tantôt flottant en liberté17. — Je veux dire que les gardiens des cultures naissantes sont les garants d’une beauté multiple, de l’expression inventive, puissante, libre mais aussi canalisée, viable, et cela par l’exercice d’un contrôle, d’une maîtrise externe des unités d’informations qui circulent et s’incorporent à l’ensemble des connaissances humaines. En ce sens, les « mèches » rebelles — lesquelles possèdent la propriété d’être communément considérées par la société comme des mèches folles — doivent être acceptées, encouragées mais aussi, et cela est essentiel, intégrées dans une perspective élevée, une vision plus vaste des conséquences plausibles, du futur, intégrées dans une conception harmonieuse qui s’imprègne de la notion de « bien » commun — ô combien instrumentalisée, sibylline,  incertaine ! —, ou à tout le moins d’un désir de durabilité et de viabilité — une vision, une conception, plus « avertie », plus sage, plus juste.

Chevaux, dressage et esclavagisme « moderne »

L’évolution implique ces « révolutions », ces « réactions », lesquelles engendrent la « mise en liberté des corps et des esprits » qui fomente la réappropriation de ces « degrés de liberté » en pensée et en actions jusque-là négligés, accaparés, verrouillés.

À la place de cela, abondent ces chevaux dressés à évoluer sur des parcours artificiels, imposés, sclérosés.

Mais l’artiste véritable n’est pas même un sauteur en liberté : il représente bien plutôt ce type d’animal qui « n’est pas soumis à une ou des contrainte(s) externe(s)18 », un animal qui           « n’appartient pas à un maître19 ». Il est ce cheval sauvage qui s’éduque lui-même, qui s’exprime dans ces « espaces », ces « domaines » dont il module et choisit lui-même les règles — il bâtit ses propres « clôtures », avec ses propres sabots : ses délimitations temporaires et nécessaires.

Le type de la « créature » inventive, de toute évidence, n’est pas représentatif de l’ensemble des  « natures » constituant le paysage culturel actuel, du moins pour ce qui a trait à leurs modalités d’expression les plus courantes.

La multitude besogneuse, hébétée, pâle, comme frappée d’une foudre blafarde, se comporte tels ces troupeaux de chevaux de labour, de cirque, de concours. — La majeure partie de leur existence ne leur appartient pas : c’est le grand spectacle de la dépossession, animé par ces dresseurs sans vergogne.

En ce sens, ce phénomène caractérise une des formes les plus répandues de l’esclavagisme moderne évoqué précédemment : un développement ultérieur, une variante sociale tardive,     « modernisée », du « labeur quotidien du serf ». — Laquelle est permise et pérennisée, en grande partie, par une prise de conscience et un soulèvement par trop malingres, timorées et tout bien considéré, par une pénurie de chevaux indignés, révoltés ! — dans une société qui voit ses rosses prospérer ! et ses mustangs désespérer !…

En dernière instance, jouir d’une existence libre ne revient-il pas à constamment s’inventer soi-même ? et tel cet artiste dont les mouvements du corps et de l’esprit évoluent avec aisance, « peindre » son existence avec une « grande liberté de trait », une « grande liberté de touche » ?

Et à l’égard des âmes qui se sentent privées, dépossédées de leurs libertés par des pressions externes, est-il nécessaire d’ajouter que, la plupart du temps, les principales menaces, les limitations majeures ont une origine interne, que même si certaines libertés peuvent être profondément entravées, il reste cette liberté irréductible qui est la leur, par essence : elle ne peut pas leur être totalement retirée, et ce, malgré les sensations, les sentiments, les pensées  contraires — aussi tenaces soient-elles.

 

Il n’est probablement pas inutile de rappeler à ce sujet cette strophe de Paul Éluard20 :

« Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté »

 

Nous autres refusons de nous soumettre… et sommes prêts aussi ! — à nommer et à « nous nommer » !

 

 

  1. Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition disponible sur        www.cnrtl.fr/definition/academie9/liberté.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. Gautier, Fracasse, 1863, p. 360, Dictionnaire Trésor de la langue française informatisé (TLFi), disponible sur

    www.cnrtl.fr/definition/liberté.

  6. Giono, Batailles ds mont.,1937, p. 81, TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
  7. Ibid.
  8. Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 286 (ibid.).
  9. Ibid.
  10. Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition, op. cit., « LIBERTÉ ».
  11. TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
  12. Ibid.
  13. Seth Godin, Tribus (Les Éditions Diateino, 2009, 2008), 45.
  14. Bernard Stiegler, L’emploi est mort, vive le travail ! [livre numérique], 2015, empl. 817.
  15. TLFi, op. cit., « LIBERTÉ ».
  16. Ibid.
  17. Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 82 (ibid.).
  18. Ibid.
  19. Ibid.
  20. Ibid.

 

 

 

 

 

 

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